Ils étaient de Zara - Suite 11
L'année
1925 marquera une étape heureuse pour la famille par le mariage de Meguerditch avec Mania Aghadjanian. Enfin, la félicité
allait renverser le cours des évènements et chasser la malédiction qui
s'abattait sur eux depuis tant d'années.
Traditionnellement,
la recherche et la présentation des fiancés étaient réalisées par des amis,
plus spécialement par des dames qui interprétaient, en la matière, une fonction
d'entremetteuse (au sens noble du terme).
Lorsque la
décision fut prise de trouver une compagne à Meguerditch,
après diverses sollicitations et tractations, le choix se porta sur MANIA,
jeune orpheline de 16 ans estimée pour sa modestie et sa gentillesse.
Tous les Aghadjanian, son père Alexan, oncles et tantes, cousins et
cousines, avaient pu émigrer aux Etats-Unis. Son père s'était remarié et avait
fondé un nouveau foyer. Quelquefois, il lui faisait parvenir un peu d'argent.
Bien qu'il eu l'intention de la ramener auprès de lui, ce projet ne fut pas
réalisé.
A elle
seule, le destin ne lui avait par permis ce regroupement familial. Tout son
univers, avait été, durant une dizaine d'années de son enfance, l'orphelinat,
parmi d'autres orphelines.
Meguerditch et Mania
ne se rencontrèrent que deux ou trois fois avant la cérémonie qui fut célébrée
le 17 Mai 1925.
Par le
mariage, Mania était adoptée et
elle fusionnait avec cette nouvelle famille dans laquelle allaient s'épanouir,
dans la quiétude, ses qualités d'épouse et de mère. Désormais, elle pouvait
reporter sur les siens toute l'affection et la tendresse qui lui avaient été
ravies dans son enfance.
Bien
qu'ayant des traits de caractère dissemblables, un profond attachement
réciproque unira Meguerditch et Mania toute leur vie, sans qu'une ombre
de discorde ne vienne entacher cette harmonie.
Avec cette
union, la vie de famille reprenait ses droits. Le bonheur oublié,
réapparaissant au fils des jours, trouva sa plénitude avec les premières
naissances. Baïdzar, l'aînée
naîtra en 1926, Araxie en 1928.
Ces
maternités, les premières en terre d'exil, amenaient joie et fierté pour les
parents, mais créaient aussi une grande satisfaction à toute la communauté
d'exilés pour qui l'enfantement était un témoignage de pérennité de la race.
Tous les
évènements heureux, noces, naissances, baptêmes, étaient fêtés par des
réjouissances collectives. Les amis et les intimes étaient invités à des
festivités qui duraient souvent plusieurs jours. Bien que désargentés, les
tables étaient abondamment garnies et il suffisait d'un "tchoutag"
(violon) et d'un "oud" (sorte de guitare) pour créer une ambiance
empreinte de nostalgie mais pleine d'entrain évoquant le Pays. Chants et danses
les transportaient dans un bonheur sublime effaçant, temporairement, les
préoccupations quotidiennes. Ils étaient pauvres, mais possédaient cette
faculté qui n'appartient qu'aux déshérités et à ceux qui ont souffert,
d'apprécier dans toute leur plénitude les plaisirs éphémères et momentanées.
Les
Dimanches et jours féries, après une semaine de dur labeur, les promenades dans
les rues d'Athènes et en été les sorties à la plage, étaient des loisirs
modestes, cependant très appréciés.
Quelquefois,
ils s'adonnaient aux plaisirs du camping en s'installant avec des amis pour
quelques jours en bordure de mer. Dans cet espace de liberté, les enfants
donnaient libre cours à leur pétulance et à leur espièglerie. Ainsi, comme on
me l’a raconté, avec un clin d’œil amusé, Araxie,
bébé précoce semble-t-il, pénétrait en rampant dans les tentes des voisins pour
y chaparder du lait.
Au cours
de ces années d'exil en Grèce, notre famille fut tentée par le commerce.
L'occasion leur en fut donnée lorsqu'ils reçurent une somme d'argent provenant
de la succession de leur oncle KhosroV
(l'Evêque). Rémunéré pour sa fonction sacerdotale, une partie des économies
réalisées sur son traitement avait été conservée au siège du Patriarcat, donc à
l'abri d'une saisie du gouvernement turc.
Ce pécule, legs précieux partagé entre les héritiers - notre famille, celle de Marinos et celle de Manas en Turquie - servit à achever la construction d'une habitation surélevée d'un étage et permit l'achat d'une épicerie.