Ils étaient de Zara - Suite 15
En 1938, Kaloust et Krikor furent appelés pour accomplir leurs obligations
militaires. Kaloust, dont l'âge
avait été modifié pour lui permettre de travailler, avait deux mois seulement
de différence avec la date de naissance de Krikor.
Cette
bizarrerie motiva la perplexité amusée des gradés dubitatifs, chargés du
recrutement. D'autant que les deux conscrits disaient être frères, mais
n'avaient pas le même nom. Cependant, les documents qu'ils présentaient
présumaient qu'ils étaient nés de la même mère. Cette singularité se régularisa
avec la bienveillance souriante du Colonel. La date de naissance de Kaloust fut ramené au 15 janvier 1912,
c'est à dire, à la même date que Krikor.
Ainsi, pour l'Administration et l'éternité les deux frères devenaient des
jumeaux. Ce qui leur permit, à leur grande satisfaction, d'effectuer leur
service militaire dans la même unité à Nice.
En 1940, Krikor épousait Muchgunaz DJérékian,
demeurant à Marseille, née à Beyrouth, au Liban en 1922, dont les parents,
émigrés en France en 1924, étaient veufs lorsqu'ils se sont connus et se sont
mariés. Leurs conjoints respectifs avaient été victimes de la Grande
Catastrophe de 1915.
Son père,
Minas, eut la vie sauve parce qu'il était le seul meunier expérimenté du
village. Sa 1ère femme enceinte et ses enfants furent tous massacrés
ou périrent sur le chemin de la Déportation.
Sa mère Martha Hérétzian fut miraculeusement rescapée de la Déportation. Sa
famille, ses enfants (dont l'aîné se prénommait Krikor et la benjamine Muchgunaz)
furent décimés. Son ter mari sera fusillé devant elle, alors qu'il
s'interposait pour la protéger des sévices des « zaptié ».
Muchgunaz avait un jeune frère, Krikor, né à Marseille. Chauffeur de taxi, il sera victime
d'un crime crapuleux en 1980, assassiné dans son véhicule par un client.
1941, Kaloust se maria avec une jeune fille
d'origine espagnole, Victoria, née en 1920. Ses parents, Alfonso Marin et Anna-Maria Martinez, avaient fui
l'Espagne franquiste. Ils habitaient le village de Castellar dans la province
de Jaèn, en Andalousie.
Un cousin
germain de Kaloust, Ara (dit
Agaba) avait épousé Isabelle, une
des sœurs de Victoria.
Le 27 Mai
1944, dans la matinée, le dépôt des locomotives des Rotondes, fut l'objectif
des bombardiers alliés. Aux alentours et à plusieurs kilomètres à la ronde, les
dégâts considérables firent de nombreuses victimes civiles. Achron et Erèni Kapriélian périront dans leur maison écrasée par les
bombes, ce jour là.
1946-47 :
Ces années là, l'Arménie Soviétique organisait le "Retour au Pays".
Quelques familles, dont la nôtre, furent séduites par ce retour. Mais, seul Meguerditch obtint l'autorisation, les
trois autres frères, naturalisés français par le service militaire, ne pouvant
partir. Des discussions intenses et pathétiques permirent un dénouement de
sagesse à ce cruel dilemme.
La
décision fut de rester tous unis en terre étrangère plutôt que de partir seuls
en terre ancestrale.
Vahan Der Vartanian, mon parrain et celui de mon frère Jean, fut candidat au départ.
Personnage pittoresque et attachant, avec une infirmité à une jambe, séquelle
d'éclats d'obus turc.
Jeune émigré
aux Etats-Unis en 1915, il n'avait pas hésité à se porter volontaire
("gamavor") dans les années 1918-20, lorsque fut tenté de maintenir
un territoire Arménien en Cilicie. Il s'était engagé dans un des bataillons de
Volontaires Arméniens encadrés par des officiers français. Des caisses,
remplies de ses affaires personnelles et petits mobiliers, sont restés
entreposées plusieurs mois à la Maison Jaune, en attendant l'autorisation de
départ.
Finalement, ce projet ne s'est jamais réalisé.